Je ne suis pas issu d‘une famille de musiciens et personne ne jouait d’un instrument dans mon entourage proche. Je devais avoir 15 ans lorsque j’ai eu mon premier contact avec une guitare. Ce fut d’abord un faux départ : ma mère, qui avait remarqué que j’avais une bonne oreille et obtenais de bonnes notes dans les cours de musique du collège, m’avait inscrit par surprise aux cours de guitare de la MJC locale. Cette notable amputation de mon temps libre n’était pas pour me plaire et il faut bien dire que l’apprentissage distillé en ce lieu m’a paru des plus rébarbatifs…

   Heureusement, ça ne dura pas : alors que toute la famille s’activait un samedi matin à faire les courses hebdomadaires dans le supermarché le plus proche, mon frère glissa dans le caddie familial un disque de Marcel Dadi.  Je me souviens qu’il s’agissait d’une compilation intitulée « Disque d’Or ». De retour, à la maison, le disque s’est vite retrouvé sur le pick-up. ll ne m'a pas alors pas fallu plus de 30 secondes d’écoute : si on pouvait faire ça avec une guitare, alors je serais guitariste. Je venais de découvrir le fingerpicking et j’allais m’y consacrer corps et âme.

   Ainsi, comme plein de gens de ma génération, j’ai eu le pied à l’étrier grâce à Marcel Dadi. Au travers des tablatures qu’il dispensait dans ses albums, je me suis forgé un début de technique. Mais le plus important est que, en lisant les pochettes de ses disques, j’ai découvert le nom de Chet Atkins. Nous étions alors à la fin des années 70 et il était alors aisé de trouver beaucoup d’albums de Chet : j’en ai acheté un, puis 5, puis 10, puis 30, puis tous les albums qu’il était possible de trouver en France. La découverte de Chet Atkins m’a fait l’effet d’un raz de marée :  sa perfection technique, sa totale maîtrise du son, son inventivité permanente , son éclectisme et son ouverture d’esprit sont devenus (et sont toujours !) des références permanentes. Travailler ce style en revanche, n’était pas chose facile et il était alors impossible de trouver des partitions ou tablatures fiables. 

    J’ai donc été contraint de déchiffrer d’oreille tous les morceaux dont je tombais amoureux. Avec le recul, j’en remercie le ciel, car c’est une longue quête frustrante et une permanente remise en question, mais c’est très formateur et ça permet une compréhension profonde de ce qu’on joue…

   Écouter Chet Atkins, c’était également découvrir les guitaristes qui ont écrit l’histoire avec lui. Au premier rang d’entre eux, il y avait Jerry Reed, monstre d’intelligence guitaristique au groove d’exception, il est le plus grand compositeur de ce siècle pour la guitare.
    Le travail des styles de Chet et Jerry m’a pris quelques années. Après avoir longtemps travaillé seul dans mon salon, en 1995, j’ai décidé qu’il était temps d’aller voir comment se passait les choses à l’endroit même où Chet et Jerry avaient fait toute leur carrière et enregistré tous ces disques qui rythmaient ma vie : Nashville. 

   Je dois à mon ami Pierre Danielou de m’avoir convaincu d’aller là-bas. C’était pour moi, petit français, un peu effrayant de faire ma valise pour la capitale de la musique que j’aimais.

   Pourtant, je m’y suis retrouvé dans ma famille naturelle et ce voyage a été le point de départ de bien des choses.

   Pierre et moi participions à la grand messe des fans de Chet Atkins, qui se déroule traditionnelle au mois de juillet dans un hôtel de Nashville. C’est une manifestation qui présente l’inconvénient majeur d’attirer un nombre impressionnant de guitaristes et parmi les meilleurs, pratiquant d’ailleurs des styles fort différents parfois.  Il n’y a pas vraiment mieux pour voir son ego de guitariste totalement laminé ! 

     Car voir se succéder pendant trois jours des Jim Nichols, Tommy Jones,  Doyle Dykes et autres, pour finir par Chet Atkins lui-même, ça ne manque de vous rappeler (si vous aviez encore quelques illusions) que bien des années de travail vous attendent encore…

   C’est dans cet état d’esprit que j’ai fait la rencontre de Jim Nichols. Il se tenait dans le hall de l’hôtel et jouais un morceau de Jerry que Chet avait enregistré, « East Wind». J’avais moi-même déchiffré cette pièce mais en voyant Jim la jouer, j’ai compris qu’il était à même de me révéler quelques secrets qui, de toute évidence, m’avaient échappé ! Je lui ai donc demandé timidement, s’il m’accorderait quelques minutes de leçon. J’ignorais encore que, outre qu’il est un musicien de génie, Jim est un homme d’une immense générosité. Il m’a tout de suite convier dans sa chambre d’hôtel afin que nous puissions travailler tranquillement. Et nous sommes restés deux heures ensemble, à jouer et parler de notre passion commune pour Chet.     Jim et son épouse, Morning, avaient rendez-vous avec lui dès le lendemain. A ma grande surprise, Jim et Morning m’ont dit que c’était pour moi l’occasion de rencontrer Chet, qu’il suffisait que je les accompagne ! C’est ainsi que j’ai rencontré mon maître, à son bureau de Nashville. Nous avons passé une heure et demi avec lui. Et ce qu’il m’a dit après m’avoir entendu jouer m’a laissé penser que toutes années de travail n’avaient pas été vaines et que finalement, tout ne faisait que commencer….

    C’est Jim, à nouveau, qui m’a incité à remonter sur scène. Dès 1996, lors d’un passage à Issoudun, important festival de guitare français, il me demandait de jouer un morceau avec lui. En 1997, Romane me faisait le grand plaisir de me proposer de figurer dans un concert se déroulant dans le cadre du festival d’Issoudun et regroupant des guitaristes français comme Christian Escoudé, Sylvain Luc, Angelo Debarre, Romane lui-même, etc… Les expériences de ce genre se sont succédées, en France comme aux Etats-Unis. C’est en 1998, à Nashville, que Henno Althoff, est venu me trouver en me demandant si je voulais enregistrer un disque dans ses studios. J’étais à la fois surpris, flatté mais peu décidé à accepter car je ne voulais pas faire un disque en solo (je trouve qu’il faut être un guitariste d’exception pour, tout seul avec une guitare, rester intéressant pendant 40 à 45 minutes !). Jimmy me fit alors remarquer qu’une telle offre ne pouvait se refuser et qu’il enregistrerait avec moi. Là-dessus, Tommy Emmanuel (monstrueux guitariste et show-man que j’avais rencontré en 1996 à Issoudun et avec lequel je n’avais cessé de tisser des liens au fur et à mesure de nos diverses rencontres à Nashville et en Europe) me proposa d’assurer les parties de batterie et de basse ! Peut-on refuser le soutien de ce genre de dream-team ? C’est donc avec ces deux compères que je commis mon premier CD au printemps 1999, « Struttin’ ».

   Depuis, j’ai la chance d’être accompagné dans mes concerts par des musiciens talentueux qui me permettent de jouer sur scène dans le même esprit que dans ce disque. C’est l’esprit que j’ai découvert dans la musique de Jerry et Chet, où la performance des guitaristes est soutenue et embellie par basse, batterie et claviers. C’est avec eux, et toujours la complicité précieuse de Jim Nichols, que je viens de finir un second album qui sera disponible dès la fin juin 2003. Ca devrait s’appeler « Jump On It ! ». Eh oui, encore un hommage à Jerry Reed qui ponctuait souvent ses chorus de la formule « Jump on It, Son ! »….Comment dites-vous ? « Struttin’ », c’était déjà un hommage à Jerry ? …Ben oui, que voulez-vous, je l’admire cet homme-là…Et puis je fais ce que je veux d’abord !